Je m'attends à ce piano géant. Je regarde tes doigts comme des pieuvres acharnées dont la chute précipitée fouette chaque touche d'une tentacule. J'attends ce tremblement profond prisonnier des longs tuyeaux. L'anticipation le fait résonner sourdement, longuement, impercéptiblement, dans ma tête. Et il se cogne violement contre mon crâne comme contre les vitraux d'une église.
Je tourne, hébétée je cède déjà dans l'attente plus pressante de tes doigts sur ce clavier immense. Le gouffre béant de l'envie qui attend de recevoir son dû ,achève de se dilater. J'attends dans cette seconde, muette, retenant la vie de tout mon corps, pour mieux entendre.
L'oreille, grande ouverte, prête à vibrer d'un profond tonnerre, ne perçoit que la course essouflée d'un cliquetit invariable. Un minuscule clavier remplace le géant attendu. Un petit tatoué grisâtre et commun, aux touches ridiculement petites et carrées , remplace le colosse au smoking de fines et longues touches noires et blanches.
Mon oeil lourd suit la dance morne de tes doigts qui s'échouent molement. Tu pianotes, maladroitement, du bout des doigts, comme une femme laide qui voudrait minauder. Détestable imposteur. Tu offres lâchement une piètre musique mécanique au ventre goulu d'une grosse machine, alors qu'elle te regarde d'un air absent de ses pixels artificiels.