J'ai pensé à ces hommes qui ne pouvaient plus être des bêtes et agir de cette mécanique affamée et sourde qui les vidait de toutes pensées. Ceux-là même qui, hantés, sondés par un regard intérieur n'étaient jamais libres d'eux même, toujours traînant ce poids lourd qui les faisait trébucher et gênait chacun de leur geste. Ces héros étranges, ces Sisyphes accablés de l'absurdité d'eux-même, qui préfèrent cracher leur rage dégoulinante de mépris sur ce qu'ils aiment, sur ces fleurs magnifiques qui leur arrachent leur fascination pour mieux les blesser de leurs épines et les rappeler à la risible faiblesse de leur chair.
Dans l'immensité calme et sereine de mon intérieur je sentais pourtant avec une force telle l'éboulement continuel de leur être, que je croyais y entendre l'écho de frères, une violente pulsation familière à mon coeur qui s'éveillait.
J'ai couru vers toi, Sisyphe, mais déjà j'arrivais et tu disparaissais sur l'autre versant, derrière le rideau du jour, soufflant par ta bouche la fumée du brouillard que tu venais d'inspirer. Tu roulais ton désespoir sans me voir et pourtant, même dans ma présence dérisoire, j'avais l'impression de peser sur ton fardeau et d'ajouter à ta peine comme ces milliers de grains de sable qui épousent ton rocher et l'alourdissent. Coupable mais pourtant ignorée et sans remède. Le vent me ramena au visage comme une gifle glaciale mon orgueil trempé de solitude.