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 C'est étrange comme ce sont ces petits faits, ces bribes, ces détails, points, dates, repères d'une chronologie discontinue qui s'estompe au fur et à mesure, qui nous rappellent brusquement un temps qui, comme un fil rompu, appartient à notre vie tout en étant un segment détaché que nous ne pouvons relier à la continuité de notre existence et à l'unité de nous même. Il semble qu'il manque à ces morceaux épars le fluide vital du sentiment,de la sensation qui incarnent toutes nos actions, comme à des membres arrachés qui demeurent inertes, celui de la vie.

Aussi, si je me souviens, ce n'est plus par l'exaltation du moment, ni grâce à une pensée en exercice, qui enveloppait les choses pour les enfermer dans une mémoire familière, ce n'est que par le constat de faits, ces images mentales aussi précises que des photographies qui nous obligent à nous rendre à l'évidence et à admettre l'effectivité de ce qui nous apparaissait comme un rêve lointain qui nous appartenait à peine.

C'est ainsi que je me souviens avoir été troublée; et avoir touché, peut-être à peine frôlé, en tout cas pas encore compris, l'épaisseur toute relative de l'instant dont le voile se déchire par endroit pour dévoiler une réalité ignorée à laquelle nous n'avions pas encore accès.

Comme au plus jeune âge les surfaces sont pénétrables et les matières s'estompent, chaque fait de la fable m'apparaissait avec une concrétude supérieure à ce visage et cette voix qui les contaient sans que ni l'un ni l'autre ne retiennent ni n'accrochent mon attention superficiellement. Alors que mes sens s'épanouissaient dans un monde parallèle dessiné au fur et à mesure avec un crayon germain de celui qui trace le réel, je ne sais pourquoi, la femme qui contait s'est troublée. Elle a prétexté ces regards fixés sur elle avec une attention inattendue. Ces regards qui étaient les notres, nous qui pourtant ne la regardions même pas. Voyant le crayon faillir, le regard devine la main qui le dirige et l'instant, à la réalité indubitable, devient le rêve vacillant issu d'une brèche ouverte au hasard dans le réel et qui déjà se referme.