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J'avais cette chance. N'est-ce pas ? Cette chance sans doute, c'est comme ça que l'on dit. De pouvoir tisser de mes yeux flous la toile lumineuse qui reliait la tour Eiffel au Panthéon. De compter parmi les pieds de Paris, sur les pavés, de soutenir en avançant, par petits pas pressés, cette énorme chenille.

C'était là qu'était ma vie aujourd'hui, dans ce que mon coeur caressait comme des visions quotidiennes et qui, pourtant, m'échappait par son impersonnalité, par son indifférence au temps. Toujours. Toujours déjà là, d'un temps qui me fascinait car il ne m'appartenait pas. Et je m'émerveillais autant que l'on peut s'émerveiller lorsque l'on s'ordonne de se saisir comme un personnage d'un tableau, lorsque l'on s'ordonne de profiter et que l'on se représente comme hors de soi, lorsque l'on se représente comme nous verrait un parent ou un ami qui nous imagine au coeur de Paris, qui projette notre visage sur l'arrière fond fantasmé d'un décor de film, d'une photographie, d'un lieu raconté. Je m'ordonnais donc de m'émerveiller, contrairement au corps que j'incarne dans la vie triviale et instantanée où mes impératifs sont autres, où le temps et l'espace sont quadrillés.

Vivrai-je un jour au-dessus de ces parcelles, comme le personnage d'un tableau? Dans cette écume infime de la vie que le temps n'écrème pas et que, marginal pourtant, l'on fixe, plus tard, comme l'incarnation d'une époque. Saurai-je vivre mon époque, dans ce qu'elle a de vivant et de singulier, au-delà du pragmatisme éternellement répétitif des époques successives, enseveli ?


C'est dans la fulgurance d'une minute hors du temps que j'ai besoin de faire entendre ma voix, et que je la sens prête à s'élever, en contre-chant, sur la voix que j'entends et qui me berce. Mais la mienne reste alors chuchotée dans ma poitrine. Dans le silence je me tais à nouveau.