Un vase en porcelaine sur une table. Assit confortablement sur un napperon de dentelle.
Depuis plus de vingt ans. Immobile.
Se rappelle t-il de ce napperon qui le soutient?
Depuis plus de vingt ans. Immobile.
Et celui-ci se souvient-il du vase qui l'écrase? Sait-il au moins à quoi il ressemble?
C'est vrai, on lui a collé si vite l'objet sur la tête qu'il ne l'a pas vu venir. L'autre non plus n'a pas vu venir ce napperon qu'on lui a glissé précipitemment sous les pieds.
Et ils demeurent ainsi, depuis plus de vingt ans. Immobiles.
Inconnus l'un de l'autre.
La vieille elle même les a oublié depuis qu'elle a perdu ses yeux.
Et la vieille se balance sur sa chaise, comme le pendule de l'horloge.
Et le pendule de l'horloge comme la vieille sur sa chaise.
Et le pendule de la chaise comme la vieille sur l'horloge.
Et le pendule de la vieille comme la chaise sur l'horloge.
Depuis plus de vingt ans. Ce balancement.
Depuis plus de vingt ans...
Ce balancement...
C'est tout ce que connaissent le vase et le napperon qui ne se connaissent pas.
L'horloge s'arrête, épuisée.
La vieille s'endort, épuisée.
Et tous demeurent immobiles.
Le vase et le napperon ne connaissent plus rien.
Le vase, son équilibre rompu, se balance.
Le vase se balance sur le napperon comme la vieille sur sa chaise qui se balançait comme le pendule de l'horloge.
L'équilibre qui revient.
Ce mouvement.
Ce mouvement lent.
Ce balancement.
Le napperon se souvient...Enfin...Au contact de ce poids...
Le vase se souvient...Enfin...Au contact de cette douceur.
Il revit, il revit...Enfin.
Il revit, et se balance tant et si bien, qu'il tombe.
En éclatant au sol en mille morceaux, il considère pour la première fois celui qui l'avait soutenu des années durant..