Elles auraient du le garder près d'elles encore, dans cet univers confiné de mondanités de femmes, de coquetteries. Il aurait respiré leurs robes.
Elles seraient restées maîtresses de son éducation et auraient joui du plaisir du génie scientifique, de l'herboriste qui, en mettant une plante diurne dans un lieu sombre, observe sa lente évolution, son adaptation au milieu, et assiste à la naissance d'une nouvelle espèce.
Ainsi, ce jeune homme orphelin, au père autoritaire et assoiffé de spéculations, se serait épanoui entre les effluves de parfums de ces dames. Il aurait gardé ses traits fins, sa peau douce d'enfant délicat et sa bouche ourlée d'une délicieuse candeur.
Que l'ont-elles laissé partir pour les Indes, se durcir la peau et le caractère, brunir son visage et son âme, brûlés au soleil des affaires?
Egoïstes? sans force? Idiotes...- je ne sais pas - de laisser partir un jeune homme sans véritable éducation, emporté par les lois de la nécessité qui ne connaissent plus la morale.
Elles ont laissé les germes terribles fleurir alors qu'elles détenaient le pouvoir de ne faire jamais devenir tigre le chaton.
Ses muscles se développent au fur et à mesure qu'il jette les noirs dans les cales du bateau pour la fructueuse traversée. Ses mains se font rugueuses et trapues, façonnés par la corde rude. Ses mâchoires deviennent saillantes et carrées, habituées aux nourritures de tous les pays où il vend ces hommes. Sa virilité, enfin, envahit son corps avec un élan sauvage à chaque port, où des femmes sans pudeurs l'attendent.
Voilà la négligence de ces femmes débiles qui ne connaissent ni le plaisir d'éduquer ni d'expérimenter, qu'elles abandonnent à la nourrice et au scientifique.
Elles aurient pu pourtant faire de ce jeune homme l'invention la plus considérable qu'il soit : un homme fait pour les femmes.