Après avoir couru les dernières pages, j'ai claqué comme une porte ce livre ouvert, et j'écoutais derrière le battant les mêmes coups déjà que j'avais entendus avec indifférence. Dans le silence lourd d'une immense solitude ils m'apparaissaient d'une ampleur telle qu'ils remplissaient l'espace d'une matière consistante, trop envahissante.
Ivre de tintamarre, il y avait une époque ou j'avais oublié le poids des mots.
Je me sentais piégée, assiégée de ces coups incessants qui n'étaient pas le vague écho d'un monde de poussière, le mugissement lointain d'une fiction qui meurt, mais bien le choc immédiat de tes poings sur la matière, l'emportement de ton coeur trop proche de ma poitrine.
Et j'ai réalisé comme en ce lieu que je croyais des nimbes inaccessibles je n'étais en fait à l'abris de rien, comme aucun rêve de m'appartenait lorsque, couché sur le papier, il était le point de rencontre de milles yeux. Et je retrouvais les tiens.
Avec effroi je vis se déchirer ce petit monde de marionnettes et de papier dont je suivais l'histoire, et apparaître des yeux brûlants de vie, trop bien connus, pour lesquels je faisais moi même office de spectacle. Je croyais t'avoir endormi, t'avoir étouffé, parmi ces pages, comme on conserve de vieux pétales morts, dépouillés des parfums dangereux et enivrants. Je croyais avoir confondu entre les pages ta chair trop vivante avec le papier. Et voilà que tu resurgis avec la violence d'un mort qui se relève et que je me trouve en face de toi et en face de mon crime. Cette vieille passion me sautait au corps avec l'obscénité d'une bête acharnée. Elle sortait de ce cercueil, de cette oeuvre d'art, où j'avais magnifié son souvenir. Là où jadis nos échanges étaient des poésies vagues, tu ne trouvais en l'instant que des insultes et moi des cris rauques.
Cette affection usée, que j'avais cru avoir lu quelque part, que j'avais cachée entre les lignes de ce rêve qu'ensemble nous avions parcouru, nous ne l'avions sans doute jamais vécue autrement que dans cette bestiale morsure du souvenir.