Samedi 14 août 2010 à 16:09
Mercredi 12 mai 2010 à 14:56
C'est étrange comme ce sont ces petits faits, ces bribes, ces détails, points, dates, repères d'une chronologie discontinue qui s'estompe au fur et à mesure, qui nous rappellent brusquement un temps qui, comme un fil rompu, appartient à notre vie tout en étant un segment détaché que nous ne pouvons relier à la continuité de notre existence et à l'unité de nous même. Il semble qu'il manque à ces morceaux épars le fluide vital du sentiment,de la sensation qui incarnent toutes nos actions, comme à des membres arrachés qui demeurent inertes, celui de la vie.
Aussi, si je me souviens, ce n'est plus par l'exaltation du moment, ni grâce à une pensée en exercice, qui enveloppait les choses pour les enfermer dans une mémoire familière, ce n'est que par le constat de faits, ces images mentales aussi précises que des photographies qui nous obligent à nous rendre à l'évidence et à admettre l'effectivité de ce qui nous apparaissait comme un rêve lointain qui nous appartenait à peine.
C'est ainsi que je me souviens avoir été troublée; et avoir touché, peut-être à peine frôlé, en tout cas pas encore compris, l'épaisseur toute relative de l'instant dont le voile se déchire par endroit pour dévoiler une réalité ignorée à laquelle nous n'avions pas encore accès.
Comme au plus jeune âge les surfaces sont pénétrables et les matières s'estompent, chaque fait de la fable m'apparaissait avec une concrétude supérieure à ce visage et cette voix qui les contaient sans que ni l'un ni l'autre ne retiennent ni n'accrochent mon attention superficiellement. Alors que mes sens s'épanouissaient dans un monde parallèle dessiné au fur et à mesure avec un crayon germain de celui qui trace le réel, je ne sais pourquoi, la femme qui contait s'est troublée. Elle a prétexté ces regards fixés sur elle avec une attention inattendue. Ces regards qui étaient les notres, nous qui pourtant ne la regardions même pas. Voyant le crayon faillir, le regard devine la main qui le dirige et l'instant, à la réalité indubitable, devient le rêve vacillant issu d'une brèche ouverte au hasard dans le réel et qui déjà se referme.
Mercredi 21 avril 2010 à 10:03
Dans un froncement de sourcils, l'esquisse d'un caractère. Dans la carnation d'une peau, dans la couleur d'une chevelure, l'hypothèse d'une nationalité. Dans les effluves d'un parfum, le fantasme personnel d'un ailleurs. Dans une pupille grande ouverte, l'écho vivant, murmurant, d'un être. Dans une marche assurée, le dessin d'une destination certaine dont le corps garde le secret.
Autant d'indices palpables et fuyants, de peut-êtres suspendus au hasard qui se bousculent et disparaissent mais jamais ne seront résolus. Et c'est cette sagesse passive qui est grisante, de celui qui effleure sans saisir, qui devine sans certitudes, et qui rêve doucement à l'odeur qui émane de ces secrets vivants.
Vendredi 26 février 2010 à 19:32
Dans cette beauté lunaire, presque maladive de pâleur, il y avait quelque chose qui aimantait mes yeux et faisait perdre à mon corps la sensation terrestre de la pesanteur.
Je sentais trop bien comme il était facile de se perdre, dans cette attraction sublime, pour moi que les balises lourdes et stables retenaient si peu au sol des réalités, pour moi qui slalomais en titubant sur les chemins les plus droits. Mais je cédais, irrésistiblement, à cette contemplation qui m'arrachait au monde, comme à une mauvaise drogue.
Je sentais le plaisir douloureux d'un néant intérieur tandis que le gouffre de mes yeux n'était plus habité que par cette lumière particulière.
Comment pouvais-je condamner l'exigence cruelle d'un être dont la seule contemplation nécessitait le sacrifice de soi, alors que l'ordre émanait de lui comme une aura, sans que l'harmonie de son visage lunaire fut altéré par la moindre parole? Le sentiment d'injustice, d'immense perte, luttait à coups vains contre la fascination émue que j'éprouvais en regardant ce pierrot superbe, ignorant de tous vils reproches et de tous sentiments bas.
En le voyant ainsi évoluer dans cet étrange univers gracieux qui semblait danser autour de lui et que je ne pouvais toucher ni comprendre, je ressentais cette joie triste qu'éprouvent ceux qui regardent un enfant dont l'aura angélique les ignore, et dont les yeux, voilés d'imaginaire, ne voient que ce monde merveilleux qu'ils construisent pour eux seuls.
Mardi 23 février 2010 à 11:24
Après avoir couru les dernières pages, j'ai claqué comme une porte ce livre ouvert, et j'écoutais derrière le battant les mêmes coups déjà que j'avais entendus avec indifférence. Dans le silence lourd d'une immense solitude ils m'apparaissaient d'une ampleur telle qu'ils remplissaient l'espace d'une matière consistante, trop envahissante.
Ivre de tintamarre, il y avait une époque ou j'avais oublié le poids des mots.
Je me sentais piégée, assiégée de ces coups incessants qui n'étaient pas le vague écho d'un monde de poussière, le mugissement lointain d'une fiction qui meurt, mais bien le choc immédiat de tes poings sur la matière, l'emportement de ton coeur trop proche de ma poitrine.
Et j'ai réalisé comme en ce lieu que je croyais des nimbes inaccessibles je n'étais en fait à l'abris de rien, comme aucun rêve de m'appartenait lorsque, couché sur le papier, il était le point de rencontre de milles yeux. Et je retrouvais les tiens.
Avec effroi je vis se déchirer ce petit monde de marionnettes et de papier dont je suivais l'histoire, et apparaître des yeux brûlants de vie, trop bien connus, pour lesquels je faisais moi même office de spectacle. Je croyais t'avoir endormi, t'avoir étouffé, parmi ces pages, comme on conserve de vieux pétales morts, dépouillés des parfums dangereux et enivrants. Je croyais avoir confondu entre les pages ta chair trop vivante avec le papier. Et voilà que tu resurgis avec la violence d'un mort qui se relève et que je me trouve en face de toi et en face de mon crime. Cette vieille passion me sautait au corps avec l'obscénité d'une bête acharnée. Elle sortait de ce cercueil, de cette oeuvre d'art, où j'avais magnifié son souvenir. Là où jadis nos échanges étaient des poésies vagues, tu ne trouvais en l'instant que des insultes et moi des cris rauques.
Cette affection usée, que j'avais cru avoir lu quelque part, que j'avais cachée entre les lignes de ce rêve qu'ensemble nous avions parcouru, nous ne l'avions sans doute jamais vécue autrement que dans cette bestiale morsure du souvenir.